L’idée de transporter des soldats par la voie des airs d’un point terrestre à un autre, et celle de les parachuter, commença à se développer sous forme de concepts opérationnels presque en même temps que l’utilisation faite de l’aviation à des fins militaires. En 1918, les pionniers de l’air américains William Mitchell et Lewis H. Brereton allèrent même jusqu’à proposer qu’un assaut aéroporté soit tenté contre la ville de Metz tenue par les Allemands, dans le but de casser l’impasse militaire sur le front de l’Ouest. Cependant, le manque de moyens combiné aux faibles chances de succès força le commandant du Corps expéditionnaire américain, le général John Pershing, à revenir à une approche plus « traditionnelle » afin de percer les lignes ennemies.
Ce fut davantage au lendemain de la Première Guerre mondiale que les armées du monde procédèrent à de premiers essais aéroportés. Par exemple, en 1922, des troupes soviétiques exécutèrent le premier saut parachutiste de groupe et au cours des cinquante années qui suivirent, plusieurs nations mirent sur pied des unités spécialement entraînées à sauter en parachute, à se poser en planeurs ou être héliportées. S’inspirant probablement des essais réalisés en Union soviétique, l’Italie forma une véritable compagnie permanente de soldats aéroportés en 1928. L’année suivante, l’Union soviétique organisa un bataillon entier de parachutistes, si bien qu’en 1935 elle put faire la démonstration à Kiev, devant un groupe fort impressionné d’attachés militaires étrangers, d’un régiment composé de 1,500 parachutistes.
Représentation de parachutistes soviétiques dans le cadre de l'exercice hautement médiatisé réalisé dans la région de Kiev en 1935.
Au cours des années 1930, les Français organisèrent à leur tour l’équivalent de deux compagnies d’Infanterie de l’Air, tout comme le firent les Polonais. Pour leur part, autant étaient-ils innovateurs en ce qui a trait au développement de l’arme blindée, autant les Allemands poussèrent la formation d’unités parachutistes à la même époque. Contrairement aux unités aéroportées des autres armées, les Fallschirmjäger allemands n’étaient pas sous le commandement opérationnel de l’armée, mais plutôt sous celui de l’aviation.
À cette fin, la Luftwaffe élabora des équipements spécialisés pour faciliter les opérations de ses parachutistes. On inventa, par exemple, le planeur DFS230 qui pouvait être accroché par câble à l’avion de transport JU-52. L’avantage observé par l’utilisation d’un planeur était que son grand habitacle permettait de transporter davantage de troupes qui pouvaient être silencieusement larguées sur des sites stratégiques en zones ennemies, établissant ainsi des têtes de pont en des endroits « chauds » de la ligne de front. En fait, lorsqu’éclate la Seconde Guerre mondiale, l’Allemagne disposait d’une division complète de troupes parachutistes (la 7e Flieger Division) commandée par le major-général Kurt Student, en plus d’une autre division, la 22e, qui disposait de planeurs pour se poser.
Ce fut à bord de planeurs semblables à ce modèle qu'un commando de parachutistes allemands se posa sur les infrastructures de la forteresse belge d'Ében-Émael en mai 1940.
La Seconde Guerre mondiale: grandeurs et misères des « paras »
À l’évidence, les stratèges militaires de l’époque avaient envisagé le recours à des troupes aéroportées pour les campagnes à venir. Les Allemands y avaient songé lors de leurs campagnes en Tchécoslovaquie (1937), en Autriche (1938) et en Pologne (1939), mais le rythme des opérations alla beaucoup trop rapidement pour qu’on ait eu le temps de faire une utilisation efficace des Fallschirmjäger. Dans les faits, ce n’était que partie remise et les parachutistes allemands auront l’occasion de se faire valoir.
L’occasion arriva enfin lors de la campagne de Scandinavie qui consista en un double assaut des forces allemandes contre le Danemark et la Norvège, le 9 avril 1940. Les parachutistes s’avérèrent particulièrement efficaces en Norvège, où ils purent rapidement s’emparer d’aérodromes stratégiques qui purent ensuite être utiles au transport par avion de troupes d’infanteries conventionnelles.
Visiblement contents de leurs actions, des parachutistes allemands prennent une "pause cigarette" après la prise de la forteresse belge d'Ében-Émael en mai 1940.
Le mois suivant, au cours de la campagne de France qui débuta le 10 mai, des ingénieurs parachutistes du détachement d’assaut spécial Koch utilisèrent des planeurs et ils parvinrent à se poser sur les infrastructures de l’immense forteresse belge d’Ében-Émael jugée imprenable. Simultanément, d’autres troupes aéroportées capturèrent d’importants ponts traversant la Meuse, ce qui ouvrit le chemin d’Ében-Émael à la 223e Division d’Infanterie qui put ainsi prendre d’assaut le complexe fortifié et faire la jonction avec les parachutistes sur les toits, forçant du coup la garnison belge à capituler.
Malgré tout, le spectaculaire épisode de l’assaut d’Ében-Émael coïncida en même temps avec la fin de cet « Âge d’or » de l’arme parachutiste allemande. En effet, les parachutistes allemands coururent à la catastrophe l’année suivante lors de l’invasion de la Crête. Ces derniers purent effectivement capturer l’île grecque, mais leurs pertes furent si élevées que Hitler prit la décision de limiter l’utilisation future des parachutistes pour ce type de missions.
Légèrement équipés et accueillis au sol par l'infanterie britannique et les partisans locaux, les parachutistes allemands qui furent largués sur l'île de Crête en 1941 subirent un taux catastrophique de pertes. N'eut été du support de l'infanterie allemande débarquée par la mer et de l'aviation, les forces parachutistes n'auraient probablement pas remporté la victoire.
D’autre part, le développement de la guerre sur le front de l’Est eut aussi un impact sur l’avenir des parachutistes allemands. Considérant les pertes grandissantes de l’infanterie régulière, Hitler octroya plus d’effectifs aux Fallschirmjäger, mais il n’était plus question de les employer au cours d’opérations aéroportées d’envergure, comme en France ou en Crête. De son côté, l’Italie eut bien sa division parachutiste Folgore, mais celle-ci ne fut pas utilisée lors d’opérations aéroportées, si bien que ses parachutistes combattirent au sol, jusqu’au moment où la division fut anéantie en Égypte lors de la bataille d’El-Alamein en 1942.
Les hauts et les bas des forces aéroportées de l’Axe impressionnèrent quand même les Alliés, en particulier les Américains, qui avaient observé les opérations effectuées au Danemark et en Norvège. Dans ce contexte, le Département américain de la Guerre avait approuvé des essais de largages de troupes à l’échelle du peloton en 1940. L’année suivante, l’armée américaine établit une école de parachutistes à Fort Benning (Georgie). En Angleterre, Winston Churchill publia le 6 juin 1940 un ordre à l’effet de lever un contingent de 5,000 parachutistes, ce qui amena la fondation de la Central Landing Establishment and School pour l’entraînement, près de Manchester.
Dans cette optique, au début de 1942, l’armée américaine dépêcha en Angleterre le lieutenant-colonel William C. Lee afin d’étudier le modèle organisationnel aéroporté britannique. Lee recommanda à ses supérieurs d’adopter le modèle organisationnel de la 1ère Division aéroportée britannique, qui consistait en un régiment de planeurs et deux régiments de parachutistes avec leurs unités de support. Par conséquent, en août de la même année, l’armée américaine leva les 82e et 101e Divisions aéroportées sur le modèle britannique. Vers la fin de la guerre, le modèle organisationnel des cinq divisions aéroportées américaines (11e, 13e, 17e, 82e et 101e) avait évolué pour inclure trois régiments de parachutistes et un régiment de planeurs dans chaque division. À la même époque, les Britanniques avaient ajouté de leur côté la 6e Division aéroportée (qui comprenait un bataillon de parachutistes canadiens) et la 50e Brigade parachutiste indienne à leur armée.
Une photographie bien connue de la Seconde Guerre mondiale montrant le général Dwight Eisenhower qui s'adresse aux parachutistes américains de la 101e Division. Cette unité sera larguée dans la nuit du 5 au 6 juin 1944 sur la Normandie.
La première opération aéroportée d’envergure effectuée par les Alliés pendant la Seconde Guerre mondiale eut lieu lorsqu’une force combinée américano-britannique fut larguée sur la Sicile au moment de l’invasion de l’île en juillet 1943. Ces troupes ne combattirent pas comme une division unifiée, mais davantage comme des unités de taille régimentaire. L’année suivante, lors du débarquement en Normandie le 6 juin, les offensives terrestres sur la plage furent précédées par les largages des 82e et 101e Divisions aéroportées américaines, puis de la 6e Division aéroportée britannique afin de sécuriser les flancs du front d’assaut amphibie. En prévision de l’assaut venant du ciel, les Allemands avaient tant bien que mal établi des systèmes défensifs afin d’interdire, ou à tout le moins sérieusement entraver, les manœuvres aéroportées. De hauts piquets et des chevaux de frise étaient censés, par exemple, faire capoter les planeurs à leur atterrissage, mais cela s’avéra somme toute inefficace.
En dépit de lourdes pertes, surtout du côté américain, les parachutistes alliés parvinrent à prendre et tenir les objectifs qu’on leur avait assignés en ce Jour J. On ne peut en dire autant lors de l’opération Market Garden qui se déroula dans la région d’Arnhem (Pays-Bas) à l’automne de 1944. La 1ère Division aéroportée britannique avait atterri près d’éléments appartenant à deux divisions de Panzers allemands et elle fut taillée en pièces, avant que des troupes blindées amies puissent arriver en renfort et ainsi établir la jonction.
Un pont trop loin? Dans son désir de terminer la guerre pour 1944, le maréchal britannique Bernard Montgomery ordonna l'exécution de l'opération Market Garden en septembre 1944.
Malgré des largages s'étant relativement bien déroulés, les parachutistes alliés furent rapidement encerclés par les forces allemandes au sol. Faute d'équipements lourds pour les repousser, les Alliés ne purent maintenir les têtes de pont de l'autre côté du Rhin, ce qui retarda de plusieurs semaines, voire de plusieurs mois la fin des opérations militaires en Europe de l'Ouest.
Dans un autre cas, la 101e Division aéroportée américaine fut encerclée et prise au piège dans Bastogne (Belgique) en décembre 1944 par des forces allemandes supérieures en nombre. Par contre, la 101e parvint de peine et de misère à tenir son front jusqu’à ce que l’intervention de l’aviation et des troupes au sol alliées permit de briser cet encerclement. Au printemps suivant, en mars 1945, des parachutistes américains et britanniques furent à nouveau largués, cette fois à l’est du Rhin, dans ce qui apparaît être la dernière utilisation faite de troupes aéroportées au cours de la guerre.
Pendant ce temps, les Soviétiques conduisirent quelques opérations aéroportées du niveau de la brigade en 1942 et 1943, de même que les Japonais et les Alliés combattant dans le Pacifique effectuèrent des opérations sur une plus petite échelle au cours de la même période. À la suite de quelques attaques aéroportées réussies sur Mindanao (Philippines) et Palembang (Indonésie), les Japonais n’employèrent plus leurs parachutistes avant 1944, où deux régiments aéroportés attaquèrent alors des aérodromes américains aux Philippines, avec des succès limités.
Des parachutistes de l'armée impériale japonaise (années 1940).
Les Américains dans le Pacifique jouèrent aussi à ce jeu. Des éléments du 503e Régiment de Parachutistes sautèrent sur la Nouvelle-Guinée en juillet 1943. De plus, des régiments de la 11e Division aéroportée exécutèrent quatre atterrissages sur Luzon et Corregidor aux Philippines au début de 1945. Notons enfin qu’un bataillon spécial de troupes de la 44e Division aéroportée indienne fut largué sur Elephant Point (Birmanie) en mai de la même année.
Par avion ou hélicoptère? Le débat (1950-1970)
Dans le contexte qui suivit la fin de la Seconde Guerre mondiale, la plupart des unités aéroportées de par le monde avaient été dissoutes. Les États-Unis n’avaient conservé que la 82e Division, mais ils l’avaient convertie en une unité d’infanterie régulière. Cependant, la 101e Division fut réactivée lorsque débuta la guerre de Corée et l’un de ses régiments, le 187e, prit part aux combats en octobre 1950 et mars 1951.
En pleine guerre d'Indochine, la France n'hésita pas à employer ses parachutistes lors de batailles cruciales, notamment à Diên Biên Phu au printemps de 1954.
Face à cette tendance consistant à réactiver d’anciennes unités parachutistes, la France leva les 10e et la 25e Divisions aéroportées et les déploya en Indochine où elles combattirent à Diên Biên Phu (1954). Toujours au milieu des années 1950, notons que deux régiments français et un bataillon britannique de parachutistes furent largués sur le canal de Suez lors de la crise de 1956. L’année suivante, l’Union soviétique annonça à son tour qu’elle avait mis sur pied six nouvelles divisions aéroportées.
À partir des années 1960, les nombreux développements dans les systèmes défensifs antiaériens remirent sérieusement en question la pertinence d’employer des parachutistes et des troupes en planeurs profondément à l’intérieur du territoire ennemi. Par contre, les développements concurrentiels en matière de transport héliporté redonnèrent vie à ces unités, qui agissaient désormais comme une nouvelle « cavalerie du ciel ». En clair, le concept visant à amener la bataille sur le sol de l’ennemi à partir des airs n’était pas mort.
Le Corps des Marines américains fait figure de pionnier dans l’emploi à grande échelle d’hélicoptères pour le transport de troupes à des fins offensives. Cela impliqua un important changement de philosophie à l’intérieur du Corps des Marines, pour la simple raison qu’il fallait désormais non pas raisonner dans une optique d’assaut à l’horizontale effectué à partir de la mer, mais d’une attaque sur l’axe vertical qui pouvait être lancé contre l’ennemi à partir de n’importe quel endroit. Cependant, n’oublions pas que dans ce domaine, la France avait aussi été à l’avant-garde lorsqu’elle utilisa des hélicoptères dans le but de positionner ses soldats sur les champs de bataille lors de Guerre d’Algérie (1954-1962).
Sans totalement délaisser le parachute, la guerre du Vietnam est caractéristique d'une époque d'intenses réflexions quant à l'utilisation de l'infanterie aéroportée. Le développement de l'hélicoptère révolutionna la donne tactique sur le terrain et s'inscrit dans le racalibrage de la pensée stratégique de l'époque.
L’utilisation de plus en plus importante que l’on fera de l’hélicoptère doit aussi être mise dans le contexte d’une réalité toute logistique qui sera caractéristique des guerres qui ont suivi celle de la Corée. Cette réalité est celle voulant que la nature du terrain de la majorité des futurs théâtres de guerre (surtout dans la jungle asiatique) ne permît plus le largage à grande échelle de troupes parachutistes conventionnelles.
Cela fut particulièrement vrai lors de la guerre du Vietnam, où ni les rizières du delta du Mékong, ni les rares plaines vers le nord du pays ne permettaient quelconque largages traditionnels à grand déploiement. Cependant, des améliorations dans les capacités de transport des hélicoptères, entreprises depuis la guerre de Corée, firent en sorte qu’il était désormais possible de déployer de forts contingents de soldats et de matériels dans un pays où les routes étaient rares et souvent interdites d’accès par les guérillas du Viet Cong ou les détachements de l’armée régulière nord-vietnamienne.
C’est alors que l’armée américaine leva la 11e Division d’Assaut de l’Air (héliportée) au début des années 1960, une unité qui fut rebaptisée en juillet 1965 sous le nom de la 1ère Division (aérienne mobile) de Cavalerie. Pour appuyer cette infanterie aéroportée, des hélicoptères équipés de canons et de mitrailleuses lourdes leur furent affectés, comme s’il s’agissait d’une guerre conventionnelle livrée au sol, où l’artillerie supporterait l’infanterie. À cet égard, la guerre du Vietnam impliqua davantage d’opérations aéroportées que tout autre conflit au cours de l’Histoire.
Les parachutistes: là pour rester
Au cours du quart de siècle qui suivit la fin de la guerre du Vietnam, seule l’Union soviétique entretint un nombre considérable d’unités aéroportées. Lors de l’invasion puis de la guerre en Afghanistan entre 1979 et 1989, les Soviétiques firent grand usage de parachutistes et de troupes héliportées. À la même époque, en 1978, la France et la Belgique dépêchèrent chacune un régiment de parachutistes à Kolwezi, afin de secourir leurs ressortissants lors de la crise au Zaïre.
La volonté affichée par certaines armées du monde de maintenir et créer des unités aéroportées demeure présente au XXIe siècle. En 2000, les Britanniques fusionnèrent certaines de leurs unités afin d’établir la 16e Brigade d’assaut aérienne. En 2005, on observe que le Corps des Marines américains avait conservé ses capacités aéroportées, mais l’armée américaine, dans son ensemble, avait dissout son unité de cavalerie aérienne (Air Cavalry) et elle fit le choix de seulement maintenir les 82e et 101e Divisions aéroportées au moment de rédiger ces lignes.
Dans les guerres du XXIe siècle, les unités dites de "parachutistes" forment un noyau dur de troupes d'élite appelées à exécuter toutes sortes d'opérations. Cela inclut le rôle initialement attribué qui consistait à être parachuté sur des objectifs militaires derrière les lignes ennemies.
Bien que plusieurs nations continuent d’entretenir officiellement des formations aéroportées, celles-ci servent la plupart du temps de centres de « recrutement » et d’entraînement pour des soldats qui aspirent à devenir des combattants d’élite. Il s’agira de troupes qu’on utilisera au cours d’opérations spéciales ou de guerres non conventionnelles. De petits groupes de parachutistes hautement entraînés peuvent être transportés à bord d’hélicoptères ou encore largués selon la forme traditionnelle, exécuter leur mission, puis être extraits rapidement de la zone des opérations avant que l’ennemi n’ait eu le temps de réagir.
Cette manière de procéder fut démontrée lors de la Première guerre du Golfe (1990-1991) et aussi pendant la guerre d’Afghanistan qui débuta en 2001. Dans les deux conflits, de petits groupes de parachutistes ou de troupes aéroportées s’infiltrèrent derrière les lignes de l’ennemi, le détruisirent sur son propre terrain, puis retournèrent à leurs bases opérationnelles.
Cela signifie qu’au final, les nations n’hésiteront jamais à recourir à ce type de soldats d’élite pour mener des opérations jugées nécessaires, que ce soit dans la poursuite d’objectifs militaires, nationaux ou les deux.