09/05/2013 Avec nos soldats au Mali
Lu sur le site http://www.valeursactuelles.com
(Note du Webmaster: Cet article est long, mais nous donne un bon aperçu de l'ambiance du quotidien de notre Infanterie en OPEX)
Afrique. L’opération Serval a détruit la forteresse djihadiste dans le Nord. Des cellules terroristes restent actives, notamment dans la région de Gao où nos reporters ont patrouillé avec les “Gaulois” du 92e Régiment d’Infanterie (Clermont-Ferrand).
Dossier réalisé par Frédéric Pons (textes) et Marc Charuel (photos)
Les quatre blindés se sont immobilisés, moteur au ralenti. Postés en étoile, ils contrôlent un grand carrefour du quartier 2 de Gao. Les canons de 25 millimètres prennent en enfilade les avenues sableuses bordées de hauts murs en pisé. La section de l’adjudant Benjamin débarque en souplesse. Les gros scarabées blindés nous reprendront en fin d’après-midi, après quatre heures de patrouille à pied dans un univers où la seule ombre est celle de quelques manguiers et de petits acacias épargnés par les chèvres.
La progression dans Gao est souple, patiente, vigilante, malgré la chaleur. Le temps semble s’être figé, dans une chaleur de four. « 50 °C à l’ombre », lâche le caporal-chef qui me précède, le famas prêt à un tir instantané de riposte. « On ne sait jamais… En mars, des mecs en djellaba et à Mobylette ont voulu se faire exploser sur nos postes, avec une ceinture de dynamite sur le ventre. » Prudents, les terroristes n’utilisent plus de 4x4 Toyota, trop repérables. Ils se déplacent à dos de chameaux ou sur les Mobylette “Djakarta” (importées d’Indonésie), plus discrètes.
Les soldats portent 20 à 25 kilos : le Frag (gilet pare-balles) et le casque lourd pour la protection, le famas ou la mitrailleuse Minimi pour le combat, les chargeurs pleins de munitions, le bidon d’eau, la trousse d’urgence. La radio crachote des ordres brefs : « À gauche, la maison au portail rouge cadenassé… Observez… Rendez compte ! ». Elle signale aussi un comportement suspect : « Mef [méfiance] ! Le mec à turban à Mobylette, près du puits »… Ces fantassins du 92e Régiment d’Infanterie n’en sont pas à leur première mission. Beaucoup de ces “Gaulois”, surnom traditionnel des soldats de Clermont-Ferrand, sont passés par l’Afghanistan.
L’adjudant parle avec un couturier sur le seuil de son échoppe. « On donne confiance. On récupère du renseignement. » Il tend le numéro de téléphone de Serval : « Tu appelles si tu vois quelque chose. » L’homme opine, conciliant : « Quand quelqu’un est venu t’aider, c’est normal de l’aider. » Le casque s’est transformé en Cocotte-Minute, l’épais gilet de combat empêche de respirer. La nuque et les épaules commencent à brûler. « Le casque et le Frag sont impératifs, a prévenu le toubib. Au moins cinq ou six soldats leur doivent la vie. N’oubliez pas de boire ! »
L’eau est une arme aussi vitale que le famas. Avec une consommation d’une quinzaine de litres par homme et par jour, la livraison des palettes de bouteilles sur les postes est une priorité. La noria logistique a permis de maintenir le rythme des combats. L’armée de l’air et les hélicoptères ont pris leur part, comme les convois terrestres. Cela n’a pas empêché des cas de déshydratation aiguë, des insolations, des gastro-entérites. Des militaires ont dû être rapatriés vers la France.
Aux carrefours, les soldats se postent et observent. Les intervalles et les distances sont respectés, pour réagir en cas d’incident et se couvrir mutuellement. Les gestes tactiques, précis, sont ceux d’une troupe aguerrie. Les plus jeunes font comme les aînés. C’est le résultat de l’entraînement intensif en France et de vingt années d’opérations extérieures, sur des théâtres aussi différents que l’Afghanistan ou la Côte d’Ivoire, le Liban ou le Kosovo. Vingt ans de culture professionnelle se vérifient dans les rues de Gao.
Cette expérience du combat et cette endurance ont permis aux troupes de l’opération Serval de surprendre, de bousculer et de détruire les forces islamistes retranchées à Gao, Tombouctou, Kidal. Les ennemis ont été ensuite détruits dans leur sanctuaire de l’adrar des Ifoghas. Ils l’occupaient depuis dix ans et l’avaient aménagé en forteresse. Ils se croyaient invincibles. Leur propagande se moquait même des “croisés”, réputés couards, trop attachés à la vie pour venir les affronter.
Les combats dans la vallée de l’Amettetaï ont été furieux. Cinq jours terribles. « Nos gars, les plus jeunes, ont morflé, reconnaissent les officiers. Les djihadistes sont allés jusqu’au corps à corps. Sur six kilomètres, entre le point de départ et l’arrivée, on a relevé une centaine de morts. » Les terroristes voulaient retarder les Français, provoquer un enlisement, transformer leur résistance en victoire morale. Ils ont été pris de vitesse. À certains endroits, les troupes d’assaut françaises ont retrouvé un mouton sur la braise, du thé encore chaud.
Le tempo rapide et la puissance de feu imposés dès le départ par Paris, relayés au Mali par les généraux Grégoire de Saint-Quentin, patron des forces françaises, et Bernard Barrera, commandant de la brigade Serval, ont bousculé l’ennemi (lire aussi page 30). « Il fallait créer une dynamique pour stabiliser la boucle du Niger », explique Saint-Quentin. Le général est prudent : « Nous avons désorganisé la menace militaire mais elle reste sous-jacente. On a détruit leurs bases. Il leur reste des caches. »
Cela explique l’approche prudente des avions sur Gao — vols à très basse altitude, changement fréquent des axes d’approche —, les patrouilles permanentes et les épuisantes opérations de recherche de caches terroristes. La dernière opération, baptisée “Gustave”, a duré quatre jours non-stop au nord de Gao, dans une zone islamiste, ancien fief du Mujao. Bilan : 18 tonnes d’armes et de munitions saisies. La plupart sont détruites, sous la surveillance des sapeurs démineurs qui assurent aussi la sécurité des convois contre les IED (engins explosifs improvisés).
Les sapeurs du 31e Régiment du Génie (Castelsarrasin), dont la moitié des cadres sont passés par l’Afghanistan, sont en permanence sur le qui-vive : « On ne sous-estime pas l’ennemi. Ils ont la compétence. Un quart des terroristes tués portait une ceinture d’explosifs ! » Les capitaines Stéphane Mateos et Jean-Médéric Lenoble confirment : « Les IED sont arrivés très vite sur ce théâtre. On a découvert des ateliers de fabrication dans le Nord. Ici, les pistes sableuses sont favorables aux pièges. »
Les ennemis ne peuvent plus concentrer leurs forces mais les militaires restent lucides : « Sur 3 000 combattants, on a compté 400 tués. » Et le reste ? « Une partie a renoncé au combat, une autre s’est dispersée, au Mali ou à l’étranger. » Des djihadistes à bout de force sont retrouvés dans le désert, en Algérie et en Mauritanie. Les écoutes françaises ont aussi localisé des combattants isolés, appelant à l’aide au téléphone. Certains ont été cueillis aux points d’eau, à des passages obligés.
« Les pieds ont une mémoire, confie un officier des forces spéciales. Les vieilles cartes nous sont utiles. On y trouve d’anciennes pistes oubliées, mais connues des trafiquants ou des terroristes. »
Nos commandos du désert font la chasse aux djihadistes. C’est au détour d’une de ces pistes perdues que le sergent Stéphane Duval, transmetteur au 1er Régiment de Parachutistes d’Infanterie de Marine (Bayonne), est mort pour la France, le lundi 29 avril.
(site Honneur et Patrie)
Ancien fief des islamistes du Mujao, Gao et ses environs restent une zone sensible. Le général de Saint-Quentin le reconnaît : « Il reste une menace sous-jacente. » Les ennemis sont toujours là. En février puis en mars, des islamistes équipés de ceintures d’explosifs ont tenté de se faire exploser au milieu des soldats. « Ils arrivent en général à Mobylette. Parfois aussi à dos d’âne, avec une charrette. » Le 4 mai, cinq kamikazes islamistes ont été tués au nord de Gao. Sur l’avenue Mamadou-Konaté, un jeune Noir s’avance, un bâton de bétel entre les dents : « Des armes, il y en a partout. Si la France part, ce sera la merde, comme avant. » Chaque Mobylette suscite le qui-vive.
« Notre but a été d’amener les ennemis à la portée des forces africaines qui nous relèvent, précise le général de Saint-Quentin. On ne partira pas. On sera encore un millier au début de 2014. » Les Français formeront une force de réaction, mobile et dure. En “deuxième rideau”, ils seront l’assurance vie des forces de stabilisation appelées à prendre le relais.
La nouvelle armée malienne sera aussi adossée aux Français. Ses chefs piaffent. Au QG malien de Gao, le colonel Didier Dacko, 45 ans, ancien de l’école du train à Tours et de celle de l’infanterie à Montpellier, veut reprendre le contrôle de Kidal, pour l’instant aux mains des indépendantistes touaregs du MNLA. Dans la villa réquisitionnée qu’il occupe avec son état-major, Dacko prépare son plan d’opérations : « Notre objectif est de contrôler la totalité du territoire malien, jusqu’à la frontière algérienne. On ne veut pas du MNLA. Qu’il désarme et on discute après. »
Son adjoint, le colonel Issa, un Touareg au visage de cuivre, approuve : « Le MNLA ne représente pas les Touaregs. Ce sont des bandits en armes rejoints par les islamistes d’Ansar Dine. » Ce seigneur du désert est formel : « Qu’on nous donne quelques véhicules et le temps d’atteindre Kidal », dit-il en grillant des Dunhill à la chaîne.
C’est ce qu’annonce le général Ibrahima Dembele, 46 ans, le chef d’état-major de l’armée malienne. Jovial, ce Malinké natif de Ségou a une confiance totale dans le toubab (“le Blanc”). Il remercie la France. « Mon ministre c’est Le Drian, mon président c’est Hollande, dit-il en riant. Serval a réagi vite et sauvé le Mali. Les Français doivent en être fiers. Notre sentiment de reconnaissance efface tout ce qu’on a raconté sur la colonisation. »
Dembele a passé seize ans à guerroyer dans le nord du pays. Il connaît par coeur les adrars, Kidal, Tessalit. Soldat confirmé et titulaire d’un master en résilience, il commande l’armée depuis mars 2012. Il joue un rôle clé dans la stabilité du pays. « Il faut tout mettre à plat, les trafics d’influence, les armes volatilisées, ceux qui nous ont trahis, à quatre reprises et qu’on a réintégrés en leur donnant de l’argent, des armes, du galon. » Il me tend une liste “confidentiel défense” : « Ce sont nos quarante officiers supérieurs sans emploi. » Parmi eux, quinze généraux.
Son objectif est clair : « Libérer Kidal et le Nord. J’ai des soldats, je veux m’en servir. » Dembele a déjà commandé 10 000 boîtes de rations douncafa (“manger à sa faim”, en bambara) pour la guerre éclair qu’il veut mener aux islamistes et au MNLA. Ses plans sont prêts : « Couper leur route logistique au carrefour d’Anifis, isoler leur zone refuge de Tinzaoutène. On n’a plus de cadeau à leur faire. Ils doivent déposer les armes. » La France se veut neutre. Nos militaires sont partagés : « Ce serait dangereux de réintégrer ces traîtres à répétition dans l’armée malienne. » Il n’est pas question pour l’instant d’opération malienne sur Kidal. Le général Dembele est formel : « Nous irons quand même. J’attendrai le temps qu’il faudra. »