Thibault de Montbrial est avocat au barreau de Paris
Marc Trévidic est juge d'instruction antiterroriste au tribunal de grande instance de Paris
Jean- Charles Brisard est consultant international en matière de terrorisme
Si les événements récents ont attiré l'attention sur la gravité de la menace directe représentée par les centaines de djihadistes de retour de Syrie, la multiplication des revendications communautaristes sur notre territoire constitue une facette moins spectaculaire, mais tout aussi inquiétante, de la radicalisation d'une partie de la jeunesse musulmane de France.
Le parcours de Mehdi Nemmouche a focalisé le débat sur la radicalisation en prison, mais il convient de ne pas occulter l'ensemble des autres facteurs et lieux d'expression de cette radicalisation ; si on a beaucoup parlé d'Internet, il est également nécessaire de mentionner les foyers salafistes qui se développent de façon inquiétante sur certaines parties de notre territoire (Yvelines, région toulousaine ou Sud-Est notamment).
Cette radicalisation n'est nullement l'expression d'un «mal-vivre» sociétal de la part d'une communauté parfaitement intégrée, mais l'outil politique d'une frange extrémiste qui livre une guerre idéologique insidieuse sur notre sol.
Son principal vecteur est la revendication politique, arme de destruction massive de nos valeurs et notre fondement républicain.
Il faut entendre les contrevenantes à la loi de 2011 interdisant le voile intégral (souvent converties de fraîche date) expliquer placidement à leurs juges qu'elles considèrent que la charia prime sur la loi de la République française. Il faut écouter les témoignages de ces élus locaux confrontés à des exigences communautaires toujours plus importantes.
Face à ces comportements offensifs, il est essentiel de conserver à l'esprit que la Loi régit les règles de vie au sein de la société. Ce qui relève de l'organisation sociale relève donc par essence du domaine politique. On comprend dès lors que sous le vernis des droits précités, les revendications judiciaires ou administratives en question ont en réalité un caractère politique et comme telles, devraient pouvoir faire l'objet d'un débat sur ce terrain. L'enjeu est majeur.
On mesure ainsi le piège habilement tendu par ceux qui brandissent la discrimination comme anathème pour discréditer à la racine les lanceurs d'alerte sur cet enjeu majeur. De fait, le piège fonctionne, puisque ce débat demeure largement tabou au nom de l'injonction selon laquelle «il ne faut pas stigmatiser», navrante autocensure qui paralyse tant d'acteurs et de responsables publics, à commencer par ceux de la communauté musulmane qui, rechignant à dénoncer et bannir l'instrumentalisation de la religion à des fins de violence politique au nom du même principe, font involontairement le jeu des extrémistes qui sont pourtant les principaux ennemis de l'islam.
La polémique née aux États-Unis de la projection d'un film par le Musée du 11 Septembre sur l'histoire du terrorisme islamiste l'a récemment montré. Des associations musulmanes réclamaient ni plus ni moins la suppression des termes «islamiste» et «djihad». De la réécriture de l'histoire au révisionnisme, il n'y a qu'un pas auquel le musée n'a pas cédé, fût-ce au nom d'une prétendue «stigmatisation».
Il est désormais crucial que tous, aussi bien les magistrats de l'ordre judiciaire ou administratif que les élus de la République, prennent conscience de ce que chacun de ces comportements constitue un test de résistance de la détermination de notre corps social à défendre son système de valeurs. Ceux qui seraient tentés de céder - l'arrêt dit «Baby-Loup» rendu le 19 mars 2013 par la Cour de cassation apparaît à cet égard très inquiétant - au prétexte du caractère apparemment mineur ou anodin de telle ou telle revendication, conforteront les intéressés dans leur conviction de la faiblesse de notre système. Ils se heurteront demain à l'argument du précédent ainsi créé, et à la force du communautarisme que chaque renoncement contribue à renforcer. Face à de tels comportements, Alexis de Tocqueville nous enseigne de toujours «rester forts». La République doit demeurer ce socle commun et intangible qui éteint les feux du fanatisme.
Céder à de telles revendications au nom de l'invocation dévoyée des valeurs, principes et libertés qui sont le résultat de siècles de construction de notre civilisation occidentale, qu'au contraire il nous appartient à tous de défendre, c'est exposer notre société à des bouleversements radicaux susceptibles de remettre en cause notre paix sociale.
Qu'elle déborde sur une dérive terroriste ou qu'elle se contente de revendications politiques, cette radicalisation islamiste constitue une menace réelle que l'on aurait bien tort de sous-estimer par aveuglement ou de minorer par convenance.
Marc Trévidic